L ’Église dont j’étais, depuis peu, le jeune pasteur connaissait de grandes difficultés. Tous les anciens n’étaient pas sur la même longueur d’onde quant à l’orientation souhaitable pour notre communauté. L’unité était menacée. Des membres très impliqués risquaient de nous quitter. En tant que nouveau venu, mon « capital de confiance » n’était pas encore acquis. J’étais rongé par le découragement et l’inquiétude. Comment le pasteur de vingt-sept ans que j’étais était-il censé gérer une situation potentiellement explosive qui, de toute évidence, le dépassait complètement?

Quelque temps après, une invitation inattendue me parvint: un institut biblique me proposait de créer un cours intensif sur l’épître de Paul aux Éphésiens, que je dispenserais en son sein tous les deux ans. Pourquoi pas, me suis-je dit? Cela me changerait les idées et m’aiderait peut-être à sortir la tête de l’eau, embourbé que j’étais dans les complexités relationnelles inhérentes à tout conflit d’Église.

Cette première version de mon cours sur Éphésiens, Dieu ne la destinait pas premièrement à mes étudiants, mais plutôt à leur enseignant. Mon étude de cette épître m’a procuré quatre bienfaits qui façonnèrent ma perspective de manière durable.

Voir l’Église autrement

Premièrement, j’ai redécouvert l’Église sous un jour nouveau. Combien il est tentant, lorsqu’une situation ecclésiale sensible nous fait souffrir (en tant que responsable ou membre), de jeter l’éponge et de nous dire qu’il serait plus stratégique d’investir notre temps et notre énergie ailleurs que dans une communauté chrétienne locale qui traîne la patte. Or c’est précisément dans ces moments périlleux que nous avons le plus grand besoin que Dieu lève le voile sur l’Église telle que lui la perçoit. Qu’il nous ouvre son cœur et nous accorde un aperçu de son amour passionné pour son Église.

En Éphésiens, Dieu nous dépeint une réalité à laquelle nous n’aurions jamais eu accès sans sa révélation: celle de l’Église céleste. Par leur union à Christ ressuscité, les croyants siègent déjà ensemble dans le monde céleste (Éphésiens 2.6). Toujours dans ces lieux célestes, l’Église constitue un temple dans lequel Dieu lui-même habite par son Esprit (2.22). « D’accord, mais ceci n’a rien à voir avec mon Église locale… »

Justement si! Chaque communauté locale est une manifestation terrestre de la grande Église céleste. En outre, nous faisons réellement l’expérience, déjà sur terre, de toutes les bénédictions célestes qui composent ce tableau inspirant, et ce grâce à l’Esprit qui nous « connecte » au monde céleste (1.3). Paul ne nous présente donc pas un simple « idéal » (l’Église de rêve); il nous révèle plutôt la « réalité invisible » – mais bien réelle et actuelle – de l’Église à laquelle nous appartenons.

Le défi des croyants toujours en vie sur cette planète, c’est d’œuvrer énergiquement pour que leur Église locale reflète le plus fidèlement possible la beauté de l’Église céleste à laquelle ils participent déjà. En tant que pasteur, je reprenais courage. Tout ne s’est pas réglé en un claquement de doigts – c’est rarement le cas –, mais mon amour pour la famille de Dieu augmentait. Si elle était si précieuse aux yeux de Dieu, peut-être l’Église devait-elle occuper un espace plus vaste dans mon cœur.

Un salut aux dimensions cosmiques

C’est fou à quel point j’ai tendance, quand je traverse une épreuve, à me regarder le nombril, à me prendre pour la pire des victimes et à poursuivre tant bien que mal ma route le nez dans le guidon. Pour espérer me défaire de mes schémas de pensée immatures, il n’existe alors qu’une seule solution: prendre de l’altitude puis ouvrir les yeux. Cela me permet de relativiser mes petits problèmes (pourtant bien réels).

Or l’épître aux Éphésiens est un véritable téléphérique qui vous transportera plus haut que l’Aiguille du Midi située à côté du Mont Blanc! Dans cette lettre, Paul n’évoque pas seulement « le pardon de mes péchés » ou « mon Sauveur personnel ». Il ne se limite pas non plus à célébrer le salut de l’Église entière – certes une réalité à méditer pour cesser de me focaliser sur ma propre personne. Sans négliger ces sujets – il s’en délecte –, l’apôtre est notre guide de haute montagne: il pointe du doigt de lointains sommets dont nous ne soupçonnions même pas l’existence. Sa source de jubilation, dès l’ouverture de sa missive, est le salut futur du cosmos, de l’univers entier! Selon le plan de Dieu, « tout ce qui est au ciel et tout ce qui est sur la terre doit être harmonieusement réuni en Christ » (1.10).

Quel rapport avec les épreuves que je subissais en tant que pasteur – et chrétien? Aucun lien direct, apparemment. Les rapports indirects sont toutefois nombreux, comme ce commentaire le démontrera. En effet, Dieu ne nous procure pas toujours la solution que nous attendions. Aujourd’hui, je ne peux imaginer rien de plus rafraîchissant, lorsque je peine sur terre, que d’entendre mon Père céleste tracer les contours de la nouvelle création qu’il prépare pour sa gloire et le bonheur absolu de ses enfants. Mon espérance renaît!

« Déjà » mais « pas encore »

Troisièmement, en préparant mon cours, j’ai ressenti plus fortement que jamais qu’il existe une tension entre le « déjà » et le « pas encore » de l’accomplissement du grand projet de Dieu. Bien sûr, on m’avait inculqué cette notion à la fac de théologie. Mais en Éphésiens, elle est particulièrement évidente et encourageante. En outre, ce sont peut-être mes expériences récentes de pasteur qui me rendaient davantage sensible à cette tension, qui n’a rien de théorique! En tout cas, je n’ai sûrement pas manqué de l’accentuer en classe, car certains de mes étudiants ont commencé à m’appeler « Monsieur Déjà-Pas-Encore »!

D’un côté, la vie d’Église est parfois d’une intensité fantastique. Les joies et les victoires que nous expérimentons ensemble offrent un avant-goût de la délivrance finale que nous attendons toujours (1.14). De l’autre côté, les chrétiens ne peuvent éviter les pires douleurs associées au temps présent, y compris dans leurs relations les uns avec les autres. Tout cela nous fait soupirer: un jour, nous goûterons enfin à une harmonie parfaite entre nous, tellement glorieuse qu’elle s’étendra au cosmos entier (1.10). Nous serons alors parfaitement soumis au règne de Christ .

Mon petit guide de la vie chrétienne

Le quatrième bienfait qui a jailli de mon étude initiale, c’est la découverte, en Éphésiens, d’un véritable guide de la vie chrétienne – rien que ça! Certes, tous les livres de la Bible sont également inspirés de Dieu. Pourtant, celui-ci s’apparente à un résumé de tout ce qu’il ne faut surtout pas oublier quand on est chrétien.

Cette lettre inspirée et inspirante m’oriente dans une multitude de domaines pratiques, comme par exemple (la longue liste qui suit n’est même pas exhaustive):

– la louange, la gratitude et le chant chrétien,
– le contenu de mes prières,
– la méditation régulière de la vérité (avec certains accents souvent négligés), l’illumination de l’Esprit, la nature de la vraie spiritualité chrétienne, le renouvellement de l’intelligence et le rôle du Saint-Esprit dans la vie chrétienne,
– le combat spirituel,
– la puissance de Dieu dans ma vie, la part de Dieu et la mienne dans l’obéissance, ainsi que la place des efforts dans la vie chrétienne,
– mon rapport à mon passé (avant que je ne rencontre le Seigneur), ma relation à la société non chrétienne et à ses schémas de pensée, et l’attitude à adopter face à l’immoralité ambiante,
– ma tendance à vouloir mériter l’amour de Dieu, et l’expérience de l’amour de Christ dans l’Église locale,
– plusieurs sujets terre à terre, comme la gestion du temps et le rapport à l’alcool,
– différents aspects de la vie d’Église: les défis du maintien de l’unité entre chrétiens, la nature d’une vraie croissance d’Église, l’essence de l’amour fraternel, comment parler à mes frères et sœurs de façon édifiante, les ravages de la colère dans la communauté chrétienne, la diversité ethnique dans l’Église locale,
– la part des leaders et celle des membres dans le service, et la manière de voir les leaders de mon Église,
– le rapport du chrétien à la Loi de Moïse et la juste compréhension du rapport entre le Nouveau et l’Ancien Testament,
– la nature exacte de l’évangélisation,
– la souffrance en rapport avec l’Évangile,
– les rôles et responsabilités des époux, et les priorités dans l’éducation des enfants,
– une éthique chrétienne du travail.

Ouf, cela fait beaucoup! Pourtant, Paul ne part pas dans tous les sens quand il traite de ces sujets pratiques. J’aurai l’occasion de mettre le doigt sur les deux clés de l’obéissance à Dieu selon Ephésiens dans la conclusion de ce commentaire (dans la section « Déjà accompli » de « La belle histoire du salut cosmique d’après Éphésiens »).

Si je devais emporter un seul livre de la Bible sur une île déserte pour y passer le restant de mes jours, vous l’avez compris, je choisirais… Éphésiens! (Il n’y a que moi pour imaginer pareil scénario, d’autant plus loufoque que maintes exhortations de cette lettre ne peuvent se concrétiser qu’en Église. Alors, pour bien faire, il me faudrait emmener toute mon Église locale sur l’île en question, qui du coup ne serait plus déserte!)

Extrait de Parle-moi maintenant par Ephésiens, de Dominique Angers, paru en juillet 2021