Dans cette épître magistrale, Paul explique à des chrétiens du Ier siècle ce que signifie vivre au quotidien dans le cadre du grand plan de salut de Dieu. Nous n’avons pas affaire à une lettre rédigée sous la pression d’une catastrophe imminente dans une assemblée locale dangereusement menacée. De manière apparemment posée (mais toujours passionnée), Paul détaille ce qu’implique de vivre l’Évangile au plan personnel et en Église.

Soyons plus précis. À mon sens, Paul vise quatre objectifs quand il écrit en pensant aux Éphésiens.

1- Paul veut les impressionner et les rassurer en dépeignant le grand projet de Dieu pour la réunification de l’univers

L’apôtre cherche à susciter l’émerveillement chez ses lecteurs. À les convaincre qu’une autre manière de voir la vie chrétienne, plus glorieuse que celle dont ils ont l’habitude, est à leur portée. Voilà pourquoi Paul brosse un tableau du salut à grands traits, à l’échelle du cosmos.

Concrètement, Paul se dit qu’une telle vue à grand angle aura pour effet bénéfique non seulement de subjuguer ses lecteurs, mais encore de les rassurer. En effet, leur sérénité est menacée:

– Les Éphésiens sont en train de perdre courage en pensant aux souffrances que Paul subit dans le contexte de son ministère (3.13).

– En raison de leur passé empreint de magie, d’astrologie et de religion et spiritualité païennes sous diverses formes, les chrétiens d’Éphèse sont anxieux à l’idée de se retrouver sous le contrôle de démons malveillants.

Quoi de plus apaisant pour les Éphésiens que d’apprendre, dans ce contexte, que les détresses de Paul, inscrites dans le projet inéluctable de Dieu, sont un prélude à leur propre gloire (3.13)? Ou que les démons, bien qu’effectivement actifs sur terre (6.12), possèdent une marge de manœuvre considérablement réduite: dans le monde céleste, ils sont confinés à une place honteuse de « perdants » car ils se trouvent sous les pieds de Christ victorieux (1.21-22)!

2- Paul veut leur faire prendre conscience de la place privilégiée qu’ils occupent dans ce grand projet grâce à l’œuvre de Christ

Paul cherche à susciter non seulement l’émerveillement, mais encore une gratitude profonde chez ses lecteurs. Les bénédictions destinées à Israël leur étaient auparavant inaccessibles car ils ne sont pas juifs (2.12). Or ils forment maintenant, avec leurs frères et sœurs d’origine juive, une nouvelle humanité (2.15). En fait, ils se tiennent désormais sur un pied d’égalité avec les Juifs qui sont en Christ, ayant accès au même héritage et formant un même corps (3.6).

En toile de fond de ces accents particuliers, il faut sans doute comprendre que la relation des chrétiens d’Éphèse issus du paganisme avec les quelques judéo-chrétiens de la ville n’est pas simple. Bien que le ministère de Paul à Éphèse n’ait produit que peu de fruit parmi les Juifs (Actes 19), le chapitre 18 du livre des Actes nous révèle un détail important: il se trouvait à Éphèse, avant même le travail énergique de Paul dans cette ville, des chrétiens d’origine juive. En effet, Apollos avait enseigné puissamment sur la personne de Jésus dans la synagogue d’Éphèse, avant de recevoir davantage d’instruction de la part de Priscille et d’Aquilas (Actes 18.24-26, 28). Les « frères » qui recommandèrent Apollos aux chrétiens de Corinthe (Actes 18.27) étaient sans doute des judéo-chrétiens qui avaient bénéficié du ministère de ce prédicateur éloquent.

Puis, pendant les deux à trois années que Paul passe à Éphèse (de 52 à 54; Actes 19.10; 20.31), s’ajoutent de nombreux pagano-chrétiens à l’ensemble des croyants de la ville, répartis dans des Églises associées à des maisons précises (Actes 20.20; 1 Corinthiens 16.19-20). Dès lors, on imagine facilement, sinon l’existence de tensions ouvertes entre les quelques judéo-chrétiens et la majorité de pagano-chrétiens, du moins l’émergence d’incompréhensions et de questionnements d’ordre identitaire. Les chrétiens d’origine juive se considéraient peut-être détenteurs d’un statut privilégié au sein de l’Église multiethnique. Les chrétiens d’origine païenne n’appréciaient peut-être pas à sa juste valeur l’héritage d’Israël dont ils étaient dorénavant les pleins bénéficiaires, aux côtés des judéo-chrétiens.

Quoi qu’il en soit, Paul rappelle à ses lecteurs ce qu’ils sont devenus, par la seule grâce de Dieu. En outre, il martèle que leur nouvelle identité est attribuable à un seul, Jésus-Christ. C’est en vertu de sa mort sanglante et de sa résurrection glorieuse que le statut des Éphésiens a été merveilleusement renversé: ils étaient exclus (2.12) et sont maintenant héritiers (1.14) !

3- Paul veut les propulser vers une expérience spirituelle renouvelée de l’Évangile et de ses implications éthiques

Les réalités objectives de l’Évangile s’appliquent aux Éphésiens, qui ont mis leur confiance dans le message du salut (1.13). Pourtant, les prières de Paul pour ses lecteurs (1.15-23; 3.14-21) indiquent qu’un décalage existe entre cet état de choses factuel (par exemple leur union à Christ) et leur expérience pratique de la vérité. Ils ont du mal à tirer les conséquences concrètes de leur nouvelle situation en Christ et à vivre au quotidien la joie et les bienfaits de la Bonne Nouvelle. Leur spiritualité manque de vigueur et d’intensité. Ils ressentent un déficit de puissance divine. Ils ont besoin de vivre une expérience renouvelée de l’amour de Dieu manifesté en Christ – qu’ils connaissent de façon un peu trop théorique. Bref, un recentrage sur Christ est impératif, notamment au vu de la pléthore d’enseignements erronés qui les ébranlent (4.14).

En parallèle – les deux vont souvent de pair –, leur marche chrétienne, à certains égards, est boiteuse. Par nonchalance, ils sont tentés de retomber dans de vieilles habitudes sur le plan moral, de réveiller leur sombre passé païen. La vie chrétienne victorieuse paraît hors de leur portée. Paul cherche à leur impulser une soif de sainteté qui passe par de nouvelles motivations. « Devenez qui vous êtes », voilà qui résume nombre de ses injonctions.

4- Paul veut les encourager à refléter sur terre l’unité de l’Église céleste

Sans déplorer une crise particulière, Paul est sans doute conscient que ses lecteurs peinent régulièrement à cultiver des relations harmonieuses. En outre, il n’est peut-être pas simple, à Éphèse, de conserver l’unité entre Églises de maison de composition et d’orientation variées: certaines à teneur principalement judéo-chrétienne, d’autres – majoritaires – composées surtout de chrétiens issus du paganisme.

Dans la conclusion de ce commentaire, je reviendrai sur ces quatre objectifs et résumerai la manière dont Paul tente de les atteindre au fil de sa lettre.

Extrait du commentaire de Dominique Angers, Parle-moi maintenant par Ephésiens