Cet article est un extrait du livre Porté disparu en Corée du Nord de Jan Vermeer.

Park observait, entre ses deux bottes parfaitement cirées, le crâne du scélérat assis en face de lui, la tête penchée en avant.

— Ça ne vous dérange pas que je mette les pieds sur le bureau ?

L’homme secoua brièvement la tête ; à la lueur de la lampe, elle apparaissait trempée. Park savait qu’il ne pleuvait pas. En plus, l’homme dégageait cette odeur si particulière. Celle de la sueur froide. Il avait probablement déjà un filet d’urine qui lui coulait le long de la jambe. Quelle horreur ! Il préférait ne pas y penser.

— Puis-je vous offrir quelque chose, M. Kim ? Un thé ?

À nouveau ce même léger mouvement de la tête.

— Excusez-moi, je n’ai pas bien saisi, s’amusa Park. Vous pouvez parler plus fort ?
— Non monsieur, articula Kim d’une voix cassée.

Il s’éclaircit la gorge.

— Je vous remercie, inspecteur.
— Ne dites pas n’importe quoi ! Un détective ne rate aucun détail, M. Kim. Vous avez la gorge sèche.

Park retira ses pieds du bureau et décrocha le téléphone.

— Étoile, un, neuf. Voyons voir si ça marche. Oui ! Ça sonne. Allô ? Oui, allô, ici inspecteur Park. Puis-je avoir deux tasses de thé pour la salle 101 ? Pour moi et mon invité. Merci.

Il raccrocha, et tournant le dos à Kim, se mit à fixer le lent chemin circulaire du ventilateur au plafond. Il plaça ses mains derrière sa nuque et inspira profondément. Plusieurs minutes s’écoulèrent.

Une femme soldat frappa à la porte et entra avec un plateau chargé de deux tasses de thé. Park ne lui jeta aucun regard, mais attendit qu’elle ait quitté la pièce. Il retourna sa chaise et avança la tête pour rencontrer le regard de Kim.

— M. Kim ? Allons, M. Kim. Vous êtes un ami de l’État, n’est-ce pas ? Vos péchés vous seront bientôt pardonnés. Allez, regardez-moi maintenant. Asseyez-vous droit, comme il convient à un homme et buvez votre thé. Ensuite nous aurons une petite discussion, camarade Kim.

Park poussa une tasse vers son « invité ». Celui-ci la prit délicatement. La porcelaine tremblait entre ses doigts.

— Vous semblez nerveux, M. Kim.

Kim but une gorgée de thé. Park rit.

— Bravo, M. Kim. Nous avons partagé une tasse de thé : cela entérine notre amitié. Buvons donc à une longue collaboration qui bénéficiera à tous les deux. Bien, passons à nos petites affaires. Avez-vous quelque chose pour moi ?

Kim hocha imperceptiblement la tête. Des deux mains, il redéposa sa tasse sur le bord du bureau et sortit un papier plié de la poche de sa chemise. Il allait le déplier lorsque Park l’interrompit.

— Donnez donc cela à Watson.

Le garde se tenait dans un coin de la pièce ; il sortit de l’ombre.

— Regarde ce papier, Watson, mais ne le lis pas à voix haute pour le moment. Combien de noms comporte-t-il ?
— Trois, inspecteur.
— Seulement trois ? Eh bien, je suppose qu’on peut voir cela comme un bon début. Je vais essayer de deviner les noms qui y sont inscrits et tu me diras si je me trompe.

Park remit ses pieds sur le bureau et jeta la tête en arrière.

— Voyons voir. J’ai bien étudié votre dossier, M. Kim. Et il s’agit de gens qui vivent près de chez vous. Si je devais deviner qui d’autre parmi eux est chrétien… Ah, ah ! Est-ce que j’ai dit deviner ? Bien sûr que non ! Un inspecteur de ma trempe ne devine jamais. Je déduis. Je conclus à partir des faits et je découvre la vérité. Donc mon premier choix sera… Cho Hyun-Ki, qui habite rue 13B. Watson ?
— Exact, monsieur.
— Bien. Vous voyez, M. Kim, j’avais déjà prévu de rendre visite à M. Cho la semaine prochaine. Alors celui-là ne compte pas vrai- ment. Mais peu importe, je ne suis pas du genre ingrat. Je vois cette suggestion comme un signe de votre volonté de coopérer. Alors, passons au suivant. Y a-t-il une femme sur cette liste, Watson ?
— Oui, en effet, monsieur.
— Habite-t-elle rue 7 ?
— Oui, monsieur.
— Maison n° 69 ?
— Exact.
— Kim Hyun-Ok… Son nom signifie « Perle de sagesse » et pourtant elle a été assez stupide pour se joindre à un groupe de chrétiens. Je n’ai même pas besoin de te demander confirmation là-dessus, n’est-ce pas Watson ?
— Non, monsieur. Son nom est bien sur la liste.

La tête de Kim ne pouvait pas descendre plus bas.

— N’avez-vous pas honte de me donner ces noms, M. Kim ?

Kim hocha la tête.

Vous ne devriez pas. Vous êtes en train de protéger votre famille. D’autres seront punis à votre place, mais n’est-ce pas tout le concept de votre étrange foi ? Vous faites du mal, mais un innocent doit souffrir et mourir sur une croix, ce terrible instrument de torture. Quelle barbarie ! Vous ne pourriez pas imaginer avoir à y monter vous-même. Bien, le dernier nom de cette liste. Voyons voir… les Choi ? J’en doute, en fait. Humm, oui, je sais. Kim Jae- Hwa. Ou vouliez-vous éviter de trahir votre propre frère, M. Kim ? Watson, est-ce que le dernier nom est bien Kim Jae-Hwa ?
— Non, monsieur.

Le sourire de Park s’évanouit.

— Voilà qui éveille ma curiosité. Watson, révèle-moi donc ce mystère. Est-ce que M. Kim mérite sa récompense ou ne me dit-il que ce que je sais déjà ?
— Le troisième nom est celui de Han Jae, inspecteur. Résidant rue 17, maison n° 12.
— Quoi ? Han Jae ? Ce nom n’apparaît nulle part dans tout votre dossier, M. Kim. Vous n’essayez pas de régler quelque compte personnel, j’espère ? Ce Jae est réellement un chrétien ?
— Nous sommes entrés en contact récemment, souffla Kim. Il fait partie d’un autre réseau.
— C’est un gros poisson alors ? Watson, trouve-moi tout ce que tu peux sur cet homme. Mais raccompagne d’abord M. Kim. Nous apprécions grandement votre coopération.

Le garde tira Kim hors de la pièce sans grand ménagement. Au moment où il ouvrit la porte, Park interpella encore une fois Kim en posant un doigt sur ses lèvres :

— Et rappelez-vous, pas un mot de tout ça. L’avenir de votre famille dépend de votre coopération ici au poste de police, mais aussi de votre silence en dehors de ces murs.

Kim fut ensuite poussé dehors et disparut. Park fixa le nouveau nom sur le papier qu’il tenait, et se mit à chanter :

Encore un qui mord la poussière.
Hé, je vais venir te chercher, M. Han.
Encore un qui mord la poussière*.

*En référence à la célèbre chanson du groupe Queen : « Another one bites the dust » [Encore un qui mord la poussière], 1980 (NDT).

Cet article est un extrait du livre Porté disparu en Corée du Nord de Jan Vermeer.

Jae dirige un réseau d’Églises secrètes en Corée du Nord. Sa foi chrétienne est dévoilée et le voilà traqué par l’impitoyable inspecteur Park. Quand la famille de Jae se trouve mêlée dans les plans de l’inspecteur Park, la foi de Jae et sa confiance en un Dieu qui voit tout est mise à l’épreuve jusqu’au bout, au point de radicalement le transformer, lui et sa famille.

L’histoire se déroule dans le régime le plus oppressant du 21e siècle. Porté disparu en Corée du Nord est une histoire captivante de persévérance, de sacrifice, de rédemption et d’une promesse tenue contre toute attente. Une histoire remarquable qui illustre l’incroyable fidélité de Dieu.

Jan Vermeer est journaliste. Il travaille pour Portes Ouvertes et a écrit de nombreux articles de journaux sur des pays tels que le Kosovo, l’Irak, Israël, la Chine ou la Corée du Nord. Il est aussi l’auteur d’Ils étaient frères de sang.

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